Les missions canadiennes en Haïti
L’intérêt des Canadiens pour Haïti ne date pas d’hier. Les francophones canadiens se sont intéressés après la Seconde Guerre mondiale à cette petite île des caraïbes qui partage son territoire à l’est avec la République dominicaine. En effet, une longue dictature de 1957 à 1986, a forcé de nombreux haïtiens et haïtiennes à s’exiler et à choisir le Canada et en particulier le Québec pour s’installer. Les Haïtiens parlant créoles et français, le Canada fut une destination intéressante pour eux. Aujourd’hui plus de 160 000 canadiens sont d’origine haïtienne.
Le Canada a donc rapidement répondu présent quand l’ONU a envoyé ses premières missions de casques bleus pour aider la jeune démocratie haïtienne aux prises avec de nombreux problèmes après des années de dictature : corruption, pauvreté, criminalité. En 1989, pour la première fois le Canada autorise le 426e escadron à envoyer plusieurs gros avions de transport (des Hercules) pour apporter des fournitures à Port-au-Prince. Il s’agit d’une opération humanitaire qui sera suivie par une dizaine d’opérations de casques bleus canadiens de 1990 à 2017. Une dizaine de casques bleus canadiens sont envoyés comme membre du groupe d’observation des élections en Haïti (Onuveh) en 1990, c’est l’opération Héritage (chaque opération militaire canadienne porte un nom spécifique). En 1993, la situation en Haïti s’aggrave et un coup d’État menace l’ensemble de la population, l’ONU décide d’envoyer la première mission de maintien de la paix en Haïti : la MINUHA (missions des Nations Unies en Haïti) de 1993 à 1996. La mission a d’abord pour but d’aider le pays à moderniser son armée et sa police. Près de 500 casques bleus canadiens, de la police civile et des ingénieurs militaires sont envoyés pour l’opération Cauldron. L’opération est arrêtée par le refus de civils armés de laisser entrer les casques bleus et les navires de l’ONU à Port-au-Prince. La mission est dangereuse et les Canadiens participent à une nouvelle force temporaire internationale mise sur pieds par l’ONU pour imposer la paix et la présence de casques bleus en Haïti (opération Forward Action). En 1995, la situation est stabilisée et la MINUHA peut reprendre son travail initial. 500 casques bleus canadiens de plus sont alors envoyés en Haïti pour aider à la reconstruction du pays (unités et formation du commandement aérien canadien), c’est l’opération Pivot qui assura un soutien logistique important pour la mission. Encouragé par les résultats de la mission, le Canada envoi 750 nouveaux casques bleus en 1996 (opération Standard). La participation des membres de l’infanterie, de la police militaire et du renseignement, des ingénieurs et même des hélicoptères constitue un gros effort pour le Canada. Le rôle du Canada est d’ailleurs reconnu avec la nomination de Neil Pouliot (de la GRC) comme chef de la force de police de la mission et du Brigadier-Général Pierre Daigle comme dernier Commandant de la MINUAH et de la mission suivante d’un an la MANUH (mission d’appui des Nations Unies à Haïti).
Pendant 4 ans, la supervision, la formation et l’instruction de la police haïtienne deviennent alors les tâches principales des casques bleus canadiens. Suite à cela, en juillet 1997, l’ONU transforme la MANUH en mission de transition car la situation doit se stabiliser et la professionnalisation de la police haïtienne doit s’accélérer face à la criminalité toujours présente en Haïti. La MITNUH (mission de transition des Nations Unies en Haïti) marque un tournant pour l’aide canadienne, 230 policiers civils (de la GRC) sont alors envoyés en Haïti. 1200 militaires casques bleus canadiens les accompagnent. Le contingent canadien est le plus nombreux dans la mission et encore une fois, le commandant est un canadien : le Brigadier-Général Robin Gagnon. De 1997 à 2000, c’est dans le cadre d’une mission de police, la MIPONUH (mission de police civile des Nations Unies), que 300 policiers canadiens continuent leur travail. Ils sont supportés par l’opération Compliment de de l’armée canadienne (avec des véhicules militaires, des instructeurs, etc.).
Les casques bleus canadiens viennent de passer 10 ans sur le terrain à aider Haïti à lutter contre la criminalité, à former la police et à supporter la population haïtienne en constante souffrance. En 2004, le gouvernement est renversé, le Président part en exil et la violence amène l’ONU à accepter l’envoi d’une grande mission de stabilisation : la MINUSTAH (mission de stabilisation des Nations Unies en Haïti) jusqu’en 2017. Dans un premier temps, 500 canadiens ont participé à la force intérimaire d’urgence envoyée quelques mois avant le début de la mission pour rétablir la sécurité et la stabilité en Haïti (opération Halo). Ils ne portaient pas le casque ou béret bleu car il ne s’agissait pas d’une opération de maintien de la paix. Par contre, ils deviennent casque bleus quand ils participent en juin 2004 à la MINUSTAH. La participation canadienne (opération Hamlet) est importante. Près de 1400 policiers casques bleus canadiens, de la GRC, des corps de police québécois et municipaux francophones feront une différence au sein de la mission. Les militaires canadiens de l’opération Hamlet sont aussi déployés et travaillent à sécuriser et stabiliser différentes villes d’Haïti. Même si la situation reste dangereuse et difficile, cinq ans après le début de la mission, la police haïtienne peut compter sur 9000 policiers formés grâce à la MINUSTAH (au lieu de 2400 en 2004). La sécurité publique s’est améliorée et les enlèvements et les assassinats ont diminué. Malheureusement, alors que le travail des casques bleus commençait à donner des résultats, un terrible tremblement de terre secoue Haïti en janvier 2010. Il y a plus de 230 000 morts, 300 000 blessés, des villes détruites, 3 millions de sinistrés pour la capitale Port-au-Prince (sur 4 millions d’habitants). Le Quartier général de la MINUSTAH est détruit et un membre de la GRC ; le commissaire intérim des opérations de la MINUSTHA, Doug Coates, perd la vie ainsi que le sergent Mark Gallagher, ainsi que 25 casques bleus internationaux.
La mission est donc transformée en mission d’urgence et d’aide humanitaire. Le Canada répond encore présent et lance l’opération Hestia. On mobilise plus de 2000 militaires canadiens pour aider le gouvernement haïtien, développer les services médicaux, apporter notre expertise en génie et en soutien à la sécurité. Il s’agit d’une force opérationnelle interarmées donc nos soldats ne sont pas des casques bleus lors de cette mission. La MINUSTAH reprend du service au printemps 2010, les policiers canadiens sont toujours très impliqués. L’environnement devient difficile, les casques bleus canadiens travaillent à partir de 2013 avec le bataillon brésilien. Il faut patrouiller dans les quartiers chauds, assurer le contrôle de la criminalité, redonner confiance à la population haïtienne qui a été choquée par les violences sexuelles et la propagation du Choléra par des membres de la MINUSTAH. La connaissance du français notamment par la 5e brigade mécanisée de Val Cartier et du 22e Régiment Canadien est un atout des casques bleus canadiens dans cet environnement qui s’améliore mais qui reste toujours dangereux et criminalisé. Faire une différence est difficile. Pourtant, des élections démocratiques ont lieu en Haïti en 2017, la police haïtienne a acquis une meilleure expertise, des policiers canadiens ont commencé en 2014–2015 à faire des formations sur les violences sexuelles et de genre et à créer des programmes spécifiques avec la police haïtienne. Après 13 ans d’efforts, l’ONU ferme la MINUSTAH et décide de maintenir une mission axée sur l’amélioration de la justice haïtienne, un des points faibles des institutions locales. La MINUJUSTH (mission des Nations Unies pour la justice en Haïti) compte, entre autres, 25 canadiens qui travaillent parmi les 1725 policiers internationaux, à l’amélioration des droits de la personne et du système judiciaire et pénitentiaire. En 2019, alors que la situation politique se détériore et qu’une partie de la population haïtienne réclame le départ des casques bleus, l’ONU se retire ne laissant qu’un petit bureau politique en place (BINUH : bureau intégré des Nations Unies en Haïti) dans lequel des policiers canadiens sont encore impliqués. Le bilan des missions de maintien de la paix en Haïti est très mitigé mais l’expertise canadienne, le désir d’aider et de participer, une pierre à la fois, avec la population haïtienne à la reconstruction de leur pays sont des valeurs constantes des hommes et des femmes qui ont servi depuis plus de 30 ans en Haïti.