Timor oriental 1999 : Tragédie et triomphe
Expériences d’un fonctionnaire électoral de l’ONU
J’ai eu la chance d’être fonctionnaire électoral de l’ONU au Timor oriental en 1999, alors que cette demi-île était encore « à naître » et disputée. Pendant vingt-quatre ans, l’Indonésie l’a occupée, après que le Portugal a relâché son emprise coloniale de trois cents ans en 1974. En mai 1999, la Mission des Nations unies au Timor oriental (MINUTO) a été créée pour organiser un référendum afin de permettre au peuple timorais de décider de son avenir : rester dans le giron de l’Indonésie (dans le cadre d’un accord d’autonomie) ou devenir une nation indépendante. Le référendum devait être organisé dans un délai de trois mois !
L’Entraide universitaire mondiale du Canada (EUMC) a proposé mon nom et envoyé mon curriculum vitae aux Volontaires des Nations unies, un programme de l’ONU basé à Bonn, en Allemagne, qui devait fournir des agents électoraux. Après un processus de sélection rapide, je me suis envolé vers l’Australie pour quelques jours de formation préalable au déploiement sur la base de la Royal Australian Air Force (RAAF) à Darwin, qui se trouve de l’autre côté de la mer de Timor (Timor Gap). À « Tin City », les nouveaux soldats de la paix civils ont suivi plusieurs jours de conférences, notamment de la part des dirigeants de la MINUTO, sur le contexte de la mission et les tâches qui nous attendaient. Nous avons reçu des gilets bleus de l’ONU à porter dans le cadre de nos fonctions officielles.
Lorsque je suis arrivé à l’aéroport de Dili, j’ai été ravi de voir une bannière réconfortante pour les arrivants : « BIENVENUE. Si vous aimez les Timorais de l’Est, aimez à la fois les pro-intégration et les pro-indépendance ». Nous avons ensuite été envoyés dans nos régions respectives à bord d’hélicoptères Puma. J’ai été déployé dans la région de Suai, à la frontière du Timor occidental, qui faisait partie de l’Indonésie depuis l’indépendance de ce pays vis-à-vis des Pays-Bas.
Nous étions chargés d’inscrire les Timorais de l’Est — et non les colons indonésiens — en vue du référendum ou de la « consultation populaire », comme les autorités indonésiennes insistaient pour qu’on l’appelle, étant donné que le parlement indonésien se réservait le droit de prendre la décision finale. Nous avons également été chargés d’éduquer les électeurs, en apprenant à des personnes qui n’avaient jamais voté en secret auparavant ce que cela signifiait de déposer un bulletin de vote. Nous avons également promis aux Timorais que, quel que soit le résultat du référendum, les Nations unies ne quitteraient pas le Timor-Oriental.
En visitant un village pauvre près de Suai, j’ai discuté avec les anciens. Lorsque j’ai demandé comment se passait la récolte de l’année, le chef m’a dit qu’ils n’avaient pas planté de graines cette année-là. J’ai été choqué, car ces gens pratiquaient l’agriculture de subsistance. Sans récolte, ils mourraient de faim ! Mais il m’a expliqué que s’ils plantaient, les miliciens viendraient prendre la récolte par la force, alors ils ont décidé de ne pas planter !
Dans une autre ville, Zumalai, j’ai vu que la porte de l’église était barricadée. Mon traducteur m’a expliqué que le prêtre local, Padre Francisco, avait été menacé par la milice locale de se faire tuer s’il continuait à prêcher à cet endroit. Il s’est donc réfugié dans le complexe ecclésiastique de la capitale régionale, Suai.
Après avoir choisi l’école catholique de Zumalai comme lieu d’inscription et de vote, les mêmes chefs de milice locaux m’ont menacé. Ils m’ont dit « qu’ils ne pouvaient plus garantir ma sécurité et celle de mon équipe ». On m’a traité d’« espion ». (J’étais particulièrement inquiète pour les habitants qui faisaient partie de mon équipe. Heureusement, quelques jours plus tard, l’un des conseillers militaires de la mission (tous non armés) a fait pression sur les militaires indonésiens pour qu’ils ordonnent aux chefs de milice de retirer leur menace. J’ai été très soulagé lorsque les chefs de milice ont déclaré qu’il s’agissait d’une « erreur ». Je n’étais pas un espion après tout !
La mission a décidé, pour ma sécurité, de m’affecter à un nouveau district et on m’a confié le complexe ecclésiastique de Suai. Pour mieux connaître les habitants et pour mes propres besoins spirituels, j’ai décidé d’assister à une messe catholique. L’église Ave Maria était pleine à craquer. Après la messe, l’aumônier Francisco m’a invité à animer une séance d’éducation des électeurs. J’ai donc dit à la foule de quelque 500 personnes que personne, et surtout pas les autorités indonésiennes, ne saurait comment elles ont voté, ni comment leur communauté a voté. Seul le vote final pour l’ensemble du Timor serait annoncé.
Le vote a eu lieu le 30 août 1999 et s’est déroulé beaucoup mieux que je ne l’avais craint. Après avoir terminé le travail d’enregistrement, j’étais de retour à New York, où j’observais la situation depuis le siège des Nations unies. Les résultats ont été annoncés à New York et à Dili (la capitale du Timor) le 6 septembre. Le peuple avait courageusement rejeté l’intégration et voté à 78,5 $ pour l’indépendance.
Dans les heures qui ont suivi, les forces indonésiennes et leurs milices ont commencé leurs attaques de vengeance. Elles ont brûlé environ 90 $ des bâtiments de la capitale. La mère de ma traductrice et sa famille ont été contraintes, sous la menace des armes, de quitter sa maison et de monter à bord d’un bateau pour le Timor occidental. Elle s’est sentie obligée de baiser les pieds des chefs de milice pour obtenir la permission d’emporter un sac de riz pour nourrir sa famille !
À Suai, la situation est encore pire. La milice dirigée par les Indonésiens a pris d’assaut le complexe de l’église de Suai et a massacré une centaine de personnes qui s’y étaient réfugiées. L’aumônier Francisco a été le premier à être abattu, alors qu’il plaidait pour la sécurité des personnes à l’intérieur de l’église. Les corps des morts ont été mis dans des camions et jetés dans un marécage du Timor occidental, pour n’être découverts que bien plus tard.
Heureusement, l’Australie était prête à faire face au scénario catastrophe qui se dessinait. La communauté internationale, en particulier le président américain Bill Clinton, a exercé une forte pression sur l’Indonésie, notamment en menaçant de retirer les prêts bancaires du FMI et en insistant pour que la Force internationale pour le Timor oriental (INTERFET), dirigée par l’Australie, soit acceptée. Elle est entrée sans opposition au Timor. Le règne de la terreur a pris fin moins de deux semaines après son début et n’a fait qu’un millier de victimes, y compris celles qui ont été massacrées dans le complexe de l’église de Suai. Malheureusement, parmi les morts se trouvait un membre de mon équipe électorale, Frederico, qui s’était réfugié dans l’église après que des miliciens l’eurent vu m’informer de leurs tentatives d’enregistrer faussement des Indonésiens.
Peu après le début du règne de la terreur, le 6 septembre 1999, l’ONU a évacué tout son personnel (à l’exception d’une douzaine d’agents en uniforme retranchés dans le consulat australien de Dili). De retour en Amérique du Nord, je n’ai pu m’empêcher de penser que j’avais trahi les habitants de Suai qui avaient été massacrés sans la protection de l’ONU. Dans mon angoisse, j’ai écrit un poème, Tribute of a Timor Lover, pour exprimer mon appréciation et mon empathie pour les courageux Timorais.
(Reportez-vous au poème de la page suivante.)
Le Canada a fourni des forces à INTERFET, qui ont été placées à Zumalai, où j’avais servi et où Padre Francisco avait prêché avant que la milice ne menace sa vie pour la première fois. Les soldats de la paix canadiens ont aidé à maîtriser la milice et à mettre fin aux menaces et aux massacres.
Le 25 octobre, le Conseil de sécurité des Nations unies a créé une nouvelle mission, l’ATNUTO (Administration transitoire des Nations unies au Timor oriental), chargée de gouverner le territoire pendant une période de transition vers l’indépendance. Ainsi, les Nations Unies ont effectivement détenu le pouvoir exécutif sur le territoire pendant deux ans. L’administration transitoire a contribué à développer l’économie dévastée par la guerre, à mettre en place une nouvelle force de police et à organiser des élections parlementaires et présidentielles.
Lorsque j’ai quitté le Timor en août 1999, j’ai promis au personnel local de mon équipe électorale de revenir au Timor oriental. En 2001, j’ai pu tenir ma promesse, mais seulement en tant que touriste. C’était un tel soulagement de descendre de l’avion à Dili et de voir des gardes bienveillants des Nations unies en uniforme bleu au lieu de soldats-occupants indonésiens.
Ce retour a été très utile pour mon psychisme personnel. Au lieu de garder à l’esprit les images des tueries dans les rues et à l’église, je pouvais maintenant voir les enfants jouer dans les rues et les gens continuer à participer au culte. J’ai également pris une photo d’un gros camion dont la plaque d’immatriculation portait les mots « Love Peace » (amour et paix). Après avoir connu la guerre, ces personnes avaient appris à apprécier la paix, une chose que nous tenons tellement pour acquise au Canada et en Amérique du Nord. Cette expérience m’a permis d’insister auprès d’autres personnes déployées dans des zones de guerre sur « l’importance d’y retourner » en temps de paix. Je pense que cette visite m’a aidé à éviter le syndrome de stress post-traumatique (SSPT).
Lors de cette visite de retour, j’ai pu voir une nouvelle nation naître d’une naissance très traumatisante. J’ai ressenti une certaine fierté d’avoir contribué à la naissance du 191e membre des Nations unies, et j’ai été très heureux lorsque le drapeau timorais - auparavant interdit au Timor par les autorités indonésiennes en tant que drapeau de la résistance - flottait désormais aux côtés des drapeaux des autres nations du monde devant le siège des Nations unies, sur la 1re Avenue, à New York.
Avec le recul, je constate que mon expérience avait les composantes d’une tragédie grecque : commencer par une grande promesse, subir une grande tragédie et finir par une catharsis et un nouveau départ. C’était vrai pour moi en tant que soldat de la paix civil qui a beaucoup appris de cette expérience. Mais c’était également vrai pour la communauté internationale. Elle avait prouvé son engagement lors de l’épreuve du Timor. Le Timor était sauvé et pouvait désormais contribuer à la communauté internationale. Le nouveau Timor Leste pourrait même envoyer ses propres soldats de la paix - militaires, policiers et civils - dans d’autres régions du monde déchirées par la guerre pour aider ces peuples à trouver la paix que les Timorais ont finalement trouvée.
Tribute of a Timor Lover
O Timor, how great has been your suffering !
How many sons and daughters you have lost in your struggle !
How many fruits you have been denied through the centuries !
Still, the fairest fruit is soon to be yours : independence.
You have paid the price with the sweat of your brow,
with the blood of your people,
under the whip of foreign taskmasters.
Struggle, cry and work — all these you did.
Finally, the world heard your cry and recognized your struggle.
We, the United Nations, came to help you determine your future.
We said : “Your choice, your vote, your future. We are with you.”
But we were wrong. We allowed ourselves to believe that your
oppressor would become your protector.
We led you to the pasture but forgot that it was the location of a slaughterhouse.
It WAS your vote. It WAS your choice, but it WAS NOT your
future all together.
We stood by and then left you as the forces of darkness and prejudice
enveloped your land.
Now we return to count the dead and to help the living.
Still, many of your people remain in the jaws of terror, in another
land under the control of another power. May they return
quickly to be embraced by you, O Timor.
Through the darkest hours, you have kept the flame of hope alive in your heart.
You dared against fate and foreign oppression to believe in your future.
Now from the spirits of your fallen and the hearts of your living will
surely spring the goal supreme : freedom.
Those of your admirers who love your natural beauty, cherish your humility,
will pledge to do what we can to make your independence dream a reality,
your freedom a celebration and your security a matter of our own.
May God give us the strength never to fail you again !
Viva Timor Leste !