L’Assomption, QC, Canada
Chantal Provost
Résidence actuelle : L’Assomption, QC, Canada
Lorsque j’étais en Belgique, en 1985, nous étions invités à prendre part aux festivités données en l’honneur des Canadiens qui avaient libéré la ville de Furnes, si mon souvenir est bon, lors de la Deuxième Guerre mondiale.
Pour ce faire une unité de Lahr en Allemagne, deux officiers de la Gendarmerie royale du Canada ainsi que notre contingent se sont réunis pour parader et assister à la cérémonie. Pour faire changement, bien je suis la seule femme canadienne en uniforme.
Lors du défilé dans les rues de la ville, nous avions des épinglettes arborant le drapeau canadien et nous les lancions dans la foule. J’ai vu une dame âgée essayer de ramasser une épinglette qui s’était retrouvée coincée entre deux pierres du pavé de la rue ; j’ai pris avantage de mon privilège de femme pour sortir des rangs, et je lui ai porté secours en lui offrant une autre épinglette. Elle la refusa en me disant : « Non merci ! C’est celle-ci qui est sur le pavé que je veux, car ce petit drapeau pour moi représente un soldat et il m’a choisi en tombant à mes pieds ». J’ai donc ramassé l’épinglette, je l’ai épinglé à son col de manteau et je l’ai serrée dans mes bras. Elle me dit que c’était la première fois de sa vie qu’elle voyait une femme canadienne en uniforme de l’armée.
Arrivés à la grande place les dignitaires se sont retrouvés à l’Hôtel de Ville et pendant ce temps nous étions invités à relaxer en prenant un breuvage dans les petits bistros environnants. Mais le fait d’être encore la seule femme militaire, cela a stimulé la gent féminine de la place à vouloir se faire photographier avec moi et les gendarmes devant l’Hôtel de Ville. La ligne de femmes s’allongeait de plus en plus ainsi que celle de leur conjoint, car ce sont eux qui prenaient les photos. Ensuite il y a eu une autre cérémonie à la grande place pour finir avec les pétales de roses qui tombaient du ciel.
Pour moi je venais de vivre une vraie consécration d’amour et de reconnaissance d’un peuple qui n’oubliera jamais les horreurs de la guerre et qui sera éternellement reconnaissant envers les Canadiens. Espérant qu’un jour nos militaires recevront le même regard admiratif de leur propre peuple. Mettons fin aux préjugés de toutes sortes de la part d’un peuple qui ignore tout sur la détermination et la dévotion de ces femmes et ces hommes qui ont choisi de servir leur pays en risquant leur vie au nom de la paix et de la liberté.
Biographie
Imaginez, Montréal novembre 1979, journée très humide, je marche entre la Place Ville-Marie et le centre de recrutement des Forces armées. Ceci deviendra le chemin entre mon passé et mon avenir. Le chemin qui laisse derrière lui, une femme de 22 ans munie d’un diplôme de commis comptable, une entrevue ratée parce que je ne maitrisais pas l’anglais, un divorce, aucun enfant et beaucoup de potentiel à l’horizon. Voyons ! Il ne faut pas commencer à pleurer, car la vie m’intéresse beaucoup et si je ne peux battre le système bien je vais le joindre. Ce sont les mots que j’ai prononcés dans ma tête avant de m’enrôler dans les Forces armées canadiennes.
Ce n’est qu’en octobre 1980 que l’on me demandait de me joindre à cette grande famille. Je n’avais que dix jours pour quitter mon emploi et changer de cap pour une carrière militaire, je me suis dit pourquoi pas ? Les avantages étaient très satisfaisants pour moi, car il n’y avait pas seulement que du travail de bureau, mais des défis de toutes sortes à relever. Suite à tous les entrainements de base et de métier, mon premier poste au sein de l’armée a été avec la marine dans l’Ouest canadien sur l’ile de Vancouver où j’ai appris les rudiments de la marine et de mon métier de commis finance.
En 1984, je suis promue caporale et mutée au quartier Général de l’OTAN à Bruxelles en Belgique en tant que première femme militaire canadienne à occuper un poste au soutien logistique pour la représentation militaire canadienne auprès de l’OTAN. Quel DÉFI ! Les trois années passées à l’étranger m’ont appris beaucoup sur mes capacités d’adaptation et d’endurance. Nous avions la responsabilité de faire toutes les tâches logistiques comme commis finance, administration, chauffeur, hôtesse, postière et répondre aux imprévus de toutes sortes, etc...
Il faut savoir que les femmes et les hommes ont le même salaire dans les forces armées et que nous avons un dicton pour ça (salaire égal = travail égal). Et ça nous devons en tant que femme l’assumer totalement. Dire que pendant 38 mois tous les jeudis, j’étais la seule femme à porter l’uniforme canadien parmi tout ce beau monde et j’en étais très fière. Je devais prouver que les femmes avaient leur place auprès de l’organisation et il faut croire que cela a porté ses fruits, car une trentaine d’années plus tard la position de Lieutenant général à la représentation militaire canadienne auprès de l’OTAN était comblée par une femme.
En fin de compte les gardiens de l’OTAN à la sécurité auront eu ce qu’ils plaidaient en 1984, soit une générale canadienne. (C’était le titre qu’on me donnait les jeudis à mon entrée au travail le matin ; Bonjour mon général le plus beau de l’OTAN.) SHUT c’était notre secret. Dire que seulement trois années avant j’avais vu le film « Private Benjamin» et je me disais que c’est seulement dans les films que l’on voit ça, une belle fille mutée dans un QG à l’étranger et me voilà trois ans plus tard dans la même situation pour ne pas dire au même QG.
Durant cette période nous avions le terrorisme qui régnait sur Bruxelles, guerre sans foi ni loi. À quelques reprises j’ai dû faire face à des embuscades, car on me prenait pour une terroriste et ils n’entendaient pas à rire, merci à mon entrainement qui m’a permis de garder mon calme et d’attendre le déroulement de l’évènement. Chaque fois je m’en suis sortie indemne. Mais tout cela exerce une pression constante sur nous tous et nous nous supportions les uns les autres.
Les Canadiens avec qui on travail lorsque nous sommes à l’étranger deviennent notre famille, quelquefois il arrive que des amitiés naissent pour jamais ne mourir, car les difficultés de chacun ne sont pas les mêmes à surmonter. Il y a des familles, des couples et des célibataires qui ont tous eu leur moment de difficulté. En septembre dernier, j’ai eu la chance de revoir certains de mes confrères, cela faisait plus de 34 années que nous n’avions pas partagé un weekend tous ensemble, mais il en manquait un, et oui ça arrive c’était mon conjoint celui que tous appelaient « Papou». Il est décédé depuis 15 ans, moi j’ai eu le temps de m’y faire, un peu, mais j’ai remarqué que les autres venaient tout juste de réaliser que le groupe était incomplet, mais que notre amitié était intacte.
Ensuite, quelques promotions plus loin, j’ai travaillé au QG de la force mobile et à la Base de Montréal à St-Hubert, QC. Ma carrière a pris fin à la base de Bagotville au Saguenay. J’ai eu la chance de pourvoir travailler avec les trois Forces, Mer, Terre, Air, et une organisation internationale, l’OTAN, ce qui m’a donné une expérience de tout l’ensemble de cette grande organisation qui se mobilise sans cesse dans le but de nous protéger et de répondre au besoin de l’humanité pour que tous vivent en paix et liberté.
Je me suis retirée en octobre 1998 dans le royaume du Saguenay en pleine nature le temps de me refaire une santé tout en profitant de la vie et par le fait même de prendre soin de mon conjoint jusqu’à son décès en 2007. Ce n’est qu’en 2009 que je suis retournée dans ma ville natale à L’Assomption. En 2011, juste avant Noël, un grave accident de la route a remis mes capacités d’adaptation à l’épreuve, je m’en suis sortie, mais avec les nouvelles limites.
Aujourd’hui, à l’âge de 65 ans je m’implique dans la communauté avec le Cercle des fermières ou dans tout autre projet ayant besoin de bénévoles. Avec toutes ces occasions, je ne m’ennuie jamais. L’important dans la vie, c’est de la gagner en faisant un métier qui nous passionne et de se sentir toujours utile, moi j’ai eu cette chance … J’ai fait confiance au chemin qui se déroulait devant moi et encore aujourd’hui malgré les épreuves il y a toujours une solution, s’adapter et s’aimer assez fort pour respecter nos nouvelles limites afin de partager notre expérience et transmettre notre savoir.