Cree Nation of Chisasibi, QC, Canada
Kelly Willis
Résidence actuelle : Ottawa, ON, Canada
En 2018, je travaillais à la Direction générale de la GRC à Ottawa (ON) ; j’avais un peu plus de 20 années de service et le grade de caporale. J’ai été ravie de voir la mention « On encourage les femmes à postuler » dans l’offre d’affectation à l’étranger dans le cadre du maintien de la paix. J’ai inscrit « N’importe où » comme premier choix, mais seulement les missions « armées » ; je me disais, « tant qu’à être loin de mes trois enfants pendant un an, autant optimiser l’expérience ». Peu de temps après, on m’a proposé une affectation au Mali, en Afrique, pour préparer l’arrivée du contingent de policiers canadiens. Nous étions deux à y aller et j’étais la seule femme.
Je savais que je tirerais le meilleur parti de n’importe quelle situation en raison de mon parcours personnel et professionnel. Je suis une Crie de Chisasibi (Québec) du côté maternel ; ma mère et ma grand-mère sont allées dans des pensionnats indiens et on m’a inculqué la résilience très tôt. J’ai grandi dans un milieu modeste et comme nous avons déménagé plusieurs fois, j’avais l’habitude de faire mes valises et de laisser mes amis pour repartir à zéro ailleurs. La diversité des emplois et des lieux d’affectation à la GRC convenait parfaitement à mon côté nomade. J’avais travaillé en Colombie-Britannique, dans les Territoires du Nord-Ouest, j’avais été agente armée à bord des avions, j’avais fait partie de la relève au Nunavut, et voilà que je réalisais enfin mon rêve d’aller à l’étranger !
En janvier 2019, mon collègue le caporal Guy Lacroix et moi avons quitté Ottawa par moins 36 degrés pour Bamako, la capitale du Mali, où il faisait plus 36 degrés à notre arrivée. Pendant la formation, nous étions collés au climatiseur alors que tous les autres se plaignaient qu’il faisait trop froid.
Comme nous étions les deux premiers policiers canadiens à arriver, nous nous sommes appuyés sur les conseils et le soutien d’autres policiers, militaires et personnel civil d’une cinquantaine de pays présents au sein de la MINUSMA. J’ai travaillé à la section des projets, au pilier Développement, où j’étais chargée de rendre compte de l’état d’avancement des différentes initiatives de stabilisation pour les Forces de sécurité maliennes (FSM). Je me suis aussi portée volontaire pour différentes tâches : j’ai géré la logistique du contingent canadien qui grossissait ; donné de la formation sur la gestion des conflits à l’École de police des FSM ; représenté la police auprès d’une commission chargée d’enquêter sur un incident qui avait fait un nombre élevé de victimes ; fait partie du réseau des femmes de la police des Nations Unies et d’un autre réseau plus vaste regroupant l’ensemble du personnel féminin ; enfin, j’ai beaucoup aimé faire partie du comité social et du bien-être chargé d’organiser des activités et événements comme des journées de compétition sportive.
En octobre, j’ai pu accompagner le commissaire de police au lancement du projet de police communautaire à Menaka et à l’inauguration du commissariat de police à Gao. À la fin d’une séance de questions-réponses avec la communauté, j’ai mentionné au commissaire que je voulais entendre les femmes présentes dans l’assistance. Avec des yeux rieurs, il a dit à l’auditoire que la policière canadienne à ses côtés était venue de loin pour entendre les femmes de Menaka, mais qu’elle allait se présenter d’abord. J’ai donc parlé de mes origines cries, expliqué que nous étions de tradition nomade également et comment chacun joue un rôle dans la prise de décision : les femmes, les jeunes et les aîné(e)s. Plusieurs femmes dans l’assistance ont alors levé la main et pris la parole. Plus tard, le chef du Groupe de la problématique femmes-hommes m’a invitée à participer à un débat pour parler de mon expérience dans le maintien de la paix des Nations Unies et aider aux séances de pratique des entrevues dans le cadre d’un atelier de la FRANCOPOL destiné à encourager les femmes désireuses de participer à des missions de maintien de la paix dans des pays d’Afrique francophone.
Participer à une mission des Nations Unies a changé ma vie. J’ai tissé de nombreuses amitiés avec des personnes de différents pays. Je suis rentrée au pays avec une confiance renouvelée et un grand intérêt pour le changement culturel à la GRC. Inspirée par mon expérience outremer et les efforts de réconciliation au Canada, j’ai créé le Réseau des femmes autochtones (RFA) en mars 2021. Je collabore avec d’autres réseaux d’employés à la GRC pour promouvoir l’équité, la diversité et l’inclusion. Je suis reconnaissante aux femmes fortes de ma lignée autochtone, aux femmes extraordinaires de notre organisation, à celles qui sont en mission et qui inspirent et s’encouragent mutuellement ; et à mes enfants qui sont fiers de leur « Girl Boss » Mom.
Biographie
La sergente Kelly Willis est policière à la GRC depuis 25 ans ; elle est actuellement en poste à la Direction générale de la GRC à Ottawa. Crie du côté maternel, sa mère et sa grand-mère ont été envoyées dans des pensionnats indiens. Elle a grandi au Québec, dans les villes de Val-d’Or et de Montréal et dans la réserve Chisasibi avant de déménager à Ottawa pour ses études secondaires. Désireuse d’entrer à la GRC pour pouvoir travailler aux quatre coins du pays et à l’étranger et faire un métier où chaque jour serait différent, elle a décroché un baccalauréat en criminologie à l’Université d’Ottawa. Sur les conseils d’un recruteur de la GRC, elle a fait corriger sa vue par chirurgie laser pour pouvoir postuler à la GRC. À 12 ans, la kokum (grand-mère en langue crie) de Kelly avait été arrachée à sa famille pour être envoyée dans un pensionnat indien ; lorsqu’en 1997 elle s’est retrouvée entourée de « tuniques rouges » à la cérémonie de promotion de sa petite-fille à la Division Dépôt, cette femme de 78 ans a craint un moment de se faire enlever de nouveau ; elle a pu finalement surmonter sa peur et voir avec fierté sa petite-fille devenir membre de la GRC — la première de sa famille et de sa communauté.
En 1997, Kelly a travaillé aux services généraux aux détachements de 100 Mile House et de l’Université de la Colombie-Britannique, ses deux premières affectations. En 2003, elle est l’une des rares femmes à entrer au Programme de protection des transporteurs aériens canadiens (PPTAC) comme « agente armée à bord des avions » à Toronto. Elle a ainsi pu vivre sa passion pour les voyages et l’aventure, tant au pays qu’à l’étranger.
En 2006, Kelly est mutée à Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest), aux services généraux et au recrutement. En 2007, elle est promue caporale et reçoit un certificat de reconnaissance du dirigeant des Ressources humaines pour sa contribution exceptionnelle au Programme national de recrutement et à l’élaboration du modèle régional de recrutement dans la Région du Nord-Ouest. En 2011, elle est aux Services des relations GRC-Autochtones (SRGA) à la Direction générale de la GRC à Ottawa. Elle travaille à plusieurs dossiers hautement médiatisés tels que les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, la justice réparatrice, et la réponse de la GRC aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. Aux SRGA, sa principale mission consiste à élaborer, coordonner et donner le cours national de cinq jours du Groupe de gestion des conflits communautaires (GGCC), afin d’uniformiser l’intervention de la GRC lors des manifestations, améliorant ainsi les relations avec les manifestants et la population.
En 2019, Kelly est l’un des deux policiers canadiens — et la seule femme — chargés de préparer l’arrivée du contingent de policiers canadiens auprès de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Elle se méritera des certificats de reconnaissance du commissaire de police des Nations Unies et du chef du pilier Développement pour son professionnalisme, ses compétences avérées, sa disponibilité constante et ses contributions significatives à l’exécution du mandat des Nations Unies. Kelly a travaillé à la Section des projets du pilier Développent en plus de former les Forces de sécurité maliennes à la gestion des conflits. Elle s’est portée volontaire comme logisticienne du contingent, a été active auprès du Réseau des femmes de la police des Nations Unies et du Comité social et de bien-être et a fait partie de la commission chargée d’enquêter sur un incident qui a fait de nombreuses victimes parmi le personnel des Nations Unies. En plus de la médaille d’ancienneté de la GRC, Kelly a reçu la Médaille canadienne du maintien de la paix et la médaille de la MINUSMA.
À son retour à la Direction générale de la GRC à Ottawa en 2020, Kelly a travaillé à des stratégies de réconciliation d’Opérations stratégiques autochtones (OSA), à promouvoir l’intégration de symboles culturels autochtones à l’uniforme de cérémonie au Bureau de l’Action, de l’Innovation et de la Modernisation (BAIM), et a fait partie du Groupe de travail national sur la réconciliation aux SRGA et du Groupe de l’évaluation de la Police fédérale (GEPF). En 2022, Kelly a été promue sergente-réviseure à la Direction nationale des plaintes du public où elle travaille à inscrire les préjugés et la discrimination au nombre des contraventions assujetties à la procédure applicable aux plaintes du public.
En mars 2021, Kelly a ressenti le besoin de former une sororité avec d’autres employées autochtones et bispirituelles de la GRC ; c’est ainsi qu’elle a mis sur pied le Réseau des femmes autochtones (RFA). Le RFA a su s’imposer comme interlocuteur de la GRC pour les questions autochtones, de genre et de réconciliation qui nécessitent de modifier les politiques, les processus, la formation et les programmes. Le RFA lutte également contre les obstacles au recrutement, au maintien en poste, à l’avancement et aux possibilités de perfectionnement des Autochtones, ainsi que contre le racisme systémique. Kelly a créé un bulletin mensuel du RFA qui met en lumière les efforts des membres du RFA et de leurs allié-e-s pour faire avancer la réconciliation à la GRC. Le succès du RFA a favorisé l’émergence d’autres réseaux d’employés avec lesquels Kelly a jeté des passerelles pour mieux faire entendre la voix des groupes sous-représentés dans l’organisation.
En octobre 2019, Kelly Willis à l’aéroport de Gao (Mali) attend son vol de retour pour Bamako à l’issue de la visite régionale du commissaire de police des Nations Unies à Menaka et Gao.
Le 21 juin 2019, Kelly Willis pose avec les policières des Forces de sécurité maliennes qui ont suivi avec succès le cours sur la gestion des conflits à Bamako.